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Descriptif prévisionnel du projet en avril 2000 - page 7/7 04/2000

Annexe 3
Un texte du violoncelliste Vincent Casanova
à propos de Terre Promise de Rémy-Michel Trotier

Ultimes Chœurs pour la Terre promise

Giuseppe Ungaretti (Traduction de Francis Ponge)

"  Serrés dans les bras d’aujourd’hui les jours passés, ceux qui viendront.

O, durant ces années longues comme des siècles,

A tout instant, ce coup au cœur : vivre encore,

Interminablement, je le sais, dans le courant torrentiel qui s’écoule,

Choyant meurtrissant tour à tour,

Parmi les remous, les vains changements.

Tel est mon sort,

Le voyage que je poursuis,

Chaque battement de mes paupières exhumant,             
réinventant de fond en comble le temps ;

Eternel fugitif, comme ceux

Qui furent, qui sont, qui seront ".

" Un cri déchira l’aube.

A l’homme qui venait de reprendre son miroir,             
il parut qu’une nouvelle nuit l’envahissait.

Il suppliait que cette évidence insoutenable lui fût épargnée ".

 

" Je voudrais vous faire partager ce que je peux dire de Terre Promise. Rémy-Michel Trotier m’a donné une partition, m’a offert le recueil Lyres de Francis Ponge, son poète de prédilection. Ce n’était pas la première partition qu’il me confiait. Mais dans ce cas présent, il en attendait quelque chose de concret, de vivant : que je la joue ! Au début, je ne savais pas trop où j’allais, sauf que l’œuvre commençait et s’achevait sur un fa dièse. Une rencontre avec le compositeur s’imposa. Ensemble, à partir de ce qu’il me disait, on essaya plein de choses, des doigtés, des coups d’archet, comme pour m’approprier l’œuvre. Il me réécrivit la partition. Je fis de mon côté une petite analyse puis la travaillai. Je l’ai jouée devant un public choisi un soir de février 1999. Plus d’un an après, je m’y suis de nouveau confronté, j’en ai reparlé à Rémy-Michel. Les mots qui suivent viennent de tout ce qui précède.

Rémy-Michel Trotier a mis en mélodies les Ultimes Chœurs pour la Terre promise. Terre Promise (la référence vocale a disparu du titre) pourrait constituer l’aboutissement du cycle. Comme si pour terminer, il s’agissait de trouver un équivalent instrumental à la voix (le timbre du violoncelle est souvent présenté comme étant le plus proche de la voix humaine) où les mots du texte auraient disparu. Pour qu’il ne reste plus que le son, aride comme le désert et la Terre promise. Il semble bien par ailleurs qu’il ait cherché une illustration musicale au poème afin d’en retranscrire le mouvement. D’un fa dièse à un autre, la musique suit son cours, de plus en plus calme et silencieuse. Pour cela le compositeur colle au sens profond du poème : des termes aussi éloquents que " remous ", " voyage ", " nuit ", " cri " trouvent une traduction évidente. L’œuvre s’ouvre ainsi par un cri : un fa dièse, joué sur le chevalet, sans vibrer (deux effets conjugués qui déchirent sèchement le silence) figure au premier degré le mot. Puis la musique fonctionne par courtes phrases claires qui en rythme syncopé au début ne sont plus faites progressivement que de valeurs longues. La musique nous mène ainsi d’un endroit à un autre, comme la lecture d’un poème le fait : de l’instabilité à l’immobilité.

Une des difficultés pour interpréter cette pièce vient du rythme et du tempo à tenir. Il est indiqué Lento alors que la référence métronomique (blanche = 72) suggère un tempo rapide. Le début correspond donc à un moment intense, bouillonnant, où tout va très vite, tandis que la fin laisse le temps au son. Une autre chose frappante est la décomposition des mesures en 7 noires (7/4) équivalentes à 2 blanches et demi. Autant dire que la barre de mesure n’a plus rien représenté pour moi, que je n’ai plus cherché à redonner à la musique que son mouvement général, comme si un poème n’avait pas de points et que c’était à moi de ponctuer le texte. J’ai fait cette démarche avec le compositeur et c’est lui qui m’a indiqué les ruptures, les respirations musicales. Celles-ci se font de plus en plus rares pour aboutir pleinement à la résonance d’un son, l’écho d’un fa dièse.

Je voudrais sur ce fa dièse donner mon interprétation d’un point de vue technique. Il n’est certainement pas innocent que le discours musical s’articule autour de cette note. Rémy-Michel Trotier ne croit pas au symbolisme des notes. Cependant, il est impossible de ne pas être frappé par la présence continue de cette note, comme si elle était le point d’équilibre de cette musique, l’origine même de celle-ci. Il se trouve que de part et d’autre du fa dièse la gamme est faite de 6 demi-tons. De plus, l’écriture privilégie certains intervalles : le triton, la tierce mineure, le demi-ton… Or par sa position centrale dans la gamme le fa dièse est celui qui permet le plus toutes les combinaisons harmoniques. Il me semble bien que cette note constitue l’essence même de la musique. Si la Terre promise recherchée était celle de la musique, il s’agirait d’un unique son, ce serait donc le fa dièse.

Une dernière remarque concerne la perception de l’œuvre et son interprétation. Le compositeur ne maîtrise pas les techniques de jeu du violoncelle ; cela renforce cette impression de mal être que provoque Terre promise. Car tout semble fébrile. Je ne parlerai certainement pas d’une musique facile. Je pense néanmoins que l’écoute de cette œuvre provoque de fortes sensations : l’auditeur est saisi, pris à la gorge jusqu’à la fin et même après l’exécution. Musique violente et sèche, elle dégage une sensation de blanc et noir immaculés. Je terminerai ces quelques réflexions sur les mots d’Ungaretti traduits par Ponge comme pour boucler la boucle, pour faire le pont une dernière fois entre mots et musique. "

" Cette anxiété de toi, cachée dedans mes yeux             
et qui me fait voir que mouvements inquiets             
dans ton repos nocturne toute seule,

Le songe aussi de tes membres, remués par la mémoire

Versent de l’ombre dans mon obscurité naturelle,

Me font n’être plus que nuit, dans le hurlement de la nuit : nuit. "

Vincent Casanova
Mars 2000

 

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